La petite histoire du stévia

28 janvier, 2015 , ,

Lorsqu’on considère le lien évident entre la consommation excessive de sucres et de glucides et l’épidémie d’obésité et de diabète qui afflige notre société, la course aux édulcorants non caloriques s’explique de soi. La logique veut qu’en diminuant la consommation de sucre, on devrait agir sur le surpoids. Comme nous l’avons vu dans l’article Les produits «sans sucre» feraient engraisser, le fait de remplacer le sucre par des édulcorants synthétiques ne donne pas les résultats escomptés. Mais qu’en est-il du stévia?

Origine du stévia

Le stévia est une plante originaire d’Amérique du Sud et Centrale qui fait partie de la famille des astéracées, comme la marguerite et l’échinacée. Il est utilisé depuis des temps immémoriaux pour adoucir les boissons et sucrer les aliments.

Le stévia a été identifié par le botaniste Moises Santiago Bertoni au Paraguay en 1899, d’où son nom latin : Stevia rebaudiana Bertoni. Les premières analyses ayant isolé et identifié les stéviosides (particulièrement le rébaudioside A) datent de 1931, en France.

L’effet édulcorant du stévia, plus spécifiquement des stéviosides, est donc connu depuis le début du 20e siècle, et même longtemps avant, vu son usage traditionnel. Ce sont les Japonais qui, les premiers, ont travaillé sur le développement d’un édulcorant non calorique à partir du stévia. Le stévia a été approuvé dans ce pays en 1970. À cette époque, la réglementation japonaise interdisait l’usage des édulcorants de synthèse.

Une autre histoire de gros sous

De ce côté-ci de l’océan, l’histoire s’inverse. Nous sommes à l’époque de l’engouement pour le cyclamate et la saccharine. En 1965, c’est la découverte de l’aspartame.

Toutes ces molécules sont brevetées. Les marchés sont monumentaux… et les lobbys aussi. Qui aurait intérêt à voir arriver sur le marché un agent sucrant naturel et non brevetable? (Ce n’est pas d’hier que des intérêts particuliers mènent l’agenda politique.)

S’installe alors à une polémique à propos de l’innocuité du stévia. Selon les opposants à sa mise en marché, le stévia sous toutes ses formes est dangereux pour la santé!

Bataille d’études

En 1968, dans la revue Science, des chercheurs publient qu’une décoction de stévia affecte la fertilité des rates, et ce sur une période allant jusqu’à 60 jours après l’arrêt de la décoction.(4) Lorsqu’on y regarde de plus près, la méthodologie (concentration de l’extrait et identité de la plante) n’est pas parfaite.

Une étude de 1989 montre que la consommation d’un extrait de stévia pourrait peut-être avoir un effet sur la fertilité des rates, mais que cet effet est incertain et qu’il ne s’applique certainement pas aux mâles.(5)

Une autre étude montre que la consommation d’un extrait de stévia par des rats mâles entraine une baisse de testostérone, une diminution du contenu en fructose du sperme et une diminution de la fertilité.(6)

Bref, c’est la bataille des études in vivo. La vente de stévia est donc interdite aux Etats-Unis, et, par suite, au Canada.

Le stévia comme produit naturel

Avec le temps, la position des autorités se nuance: vers le milieu des années 1990, on maintient l’interdit sur les extraits, mais on permet la vente de la plante entière. Le stévia se retrouve donc dans le monde des produits naturels. Il faut savoir que la plante elle-même a un goût sucré très prononcé, entre 45 et 300 fois le pouvoir sucrant du sucre, selon la saison et la concentration en actifs.

Une guerre politique

Curieusement, avec la récente levée de boucliers contre l’aspartame dans la population, les géants du néfaste food (Coca-Cola et PepsiCo) ont besoin de trouver une solution pour redorer leur blason et maintenir leurs ventes. On voit donc apparaitre des études et autres analyses qui confirment la tradition d’innocuité du stévia ainsi que de ses composés purifiés.(7-10) Les instances gouvernementales font maintenant l’objet de pressions pour approuver le stévia et ses dérivés.

Ainsi, on voit le stévia apparaitre dans divers pays. Au Canada, l’usage de la plante est officiellement accepté en 2004 (avant, il n’était pas interdit comme PSN [produits de santé naturel] puisqu’il n’y avait pas de réglementation). Aux États-Unis, l’usage du stévia dans un supplément (dietary supplement) est permis (ou enfin, non interdit) dès 1995.

En ce qui concerne les extraits, ce n’est qu’en 2008 que le rebaudioside A purifié est disponible et approuvé aux États-Unis, en Russie, en Suisse, en Australie et en Nouvelle-Zélande. En 2009, c’est au tour de la France de l’approuver. Au Canada, la règlementation à propos du rébaudioside A est promulguée en septembre 2009.(11)

Dangereux ou pas ?

Fertilité

Si le stévia est depuis longtemps utilisé par les populations indigènes d’Amérique du Sud et centrale, a-t-il réduit la fertilité de ces populations? Il semble bien que non!

Allergies

Comme le stévia fait partie de la famille des astéracées (marguerite, herbe à poux, etc.), le risque d’allergie croisée est à envisager. Cependant, la partie utilisée en tant qu’agent sucrant est la feuille, et non la fleur. Des chercheurs ayant évalué cette possibilité arrivent à la conclusion que le risque d’allergie est virtuellement nul et ne mérite pas d’avertissement.(12) En outre, lorsqu’on utilise une fraction purifiée ou des stéviosides, le risque est totalement absent.

Microbiote

Concernant l’effet du stévia sur le microbiote, on sait que les stéviosides sont utilisés par les lactobacilles et les bifidobactéries comme source de nutriments. Cet effet n’est pas assez puissant pour que l’on puisse affirmer que le stévia a un effet prébiotique (qui augmente la population des bonnes bactéries dans l’intestin). En revanche, cela nous assure qu’il n’a pas d’effet délétère sur la microflore intestinale.(13)

L’histoire du stévia et de ses principes actifs en est une d’intérêts particuliers, de lobbys et de gros sous. Lorsque les géants n’en voulaient pas, il était dangereux, et maintenant qu’ils s’y intéressent, il est devenu sécuritaire… Mais ne l’a-t-il pas toujours été?

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Références :

  1. Fiche stévia sur Passeportsanté.net http://www.passeportsante.net/fr/Solutions/PlantesSupplements/Fiche.aspx?doc=stevia_ps accès le 12 août 2011.
  2. http://www.doctissimo.fr/html/nutrition/dossiers/edulcorant/articles/14516-histoire-stevia.htm
  3. http://en.wikipedia.org/wiki/Stevia
  4. Planas GM, Kucacute J. Contraceptive Properties of Stevia rebaudiana. Science. 1968 Nov 29;162(3857):1007. PubMed PMID: 17744732.
  5. Oliveira-Filho RM, Uehara OA, Minetti CA, Valle LB. Chronic administration of aqueous extract of Stevia rebaudiana (Bert.) Bertoni in rats: endocrine effects. Gen Pharmacol. 1989;20(2):187-91. PubMed PMID: 2785472.
  6. Melis MS. Effects of chronic administration of Stevia rebaudiana on fertility in rats. J Ethnopharmacol. 1999 Nov 1;67(2):157-61. PubMed PMID: 10619379.
  7. Geuns JM. Stevioside. Phytochemistry. 2003 Nov;64(5):913-21. Review. PubMed PMID: 14561506.
  8. Suttajit M, Vinitketkaumnuen U, Meevatee U, Buddhasukh D. Mutagenicity and human chromosomal effect of stevioside, a sweetener from Stevia rebaudiana Bertoni. Environ Health Perspect. 1993 Oct;101 Suppl 3:53-6. PubMed PMID: 8143647; PubMed Central PMCID: PMC1521159.
  9. Brusick DJ. A critical review of the genetic toxicity of steviol and steviol glycosides. Food Chem Toxicol. 2008 Jul;46 Suppl 7:S83-91.Review. PubMed PMID: 18556105.
  10. Carakostas MC, Curry LL, Boileau AC, Brusick DJ. Overview: the history, technical function and safety of rebaudioside A, a naturally occurring steviol glycoside, for use in food and beverages. Food Chem Toxicol. 2008 Jul;46 Suppl 7:S1-S10. Review. PubMed PMID: 18555576.
  11. Révision des lignes directrices sur l’utilisation du stévia dans les produits de santé naturels 18 septembre 2009 Santé Canada http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/prodnatur/legislation/docs/notice-avis-stevia-fra.php
  12. Urban JD, Carakostas MC, Taylor SL. Steviol glycoside safety: Are highly purified steviol glycoside sweeteners food allergens? Food Chem Toxicol. 2014 Nov 18;75C:71-78. doi: 10.1016/j.fct.2014.11.011. [Epub ahead of print] Review. PubMed PMID: 25449199. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25449199
  13. Kunová G, Rada V, Vidaillac A, Lisova I. Utilisation of steviol glycosides from Stevia rebaudiana (Bertoni) by lactobacilli and bifidobacteria in in vitro conditions. Folia Microbiol (Praha). 2014 May;59(3):251-5. doi: 10.1007/s12223-013-0291-1. Epub 2013 Nov 19. PubMed PMID: 24249153. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24249153

Auteur

Jean-Yves Dionne
Jean-Yves Dionne est pharmacien, formateur, conférencier, auteur, conseiller scientifique et consultant en produits de santé naturels (PSN). Il est conférencier régulier aux universités de Montréal et de Laval, facultés de pharmacies et de médecine. Il a reçu de plusieurs prix pour son travail. Il fait partie du comité éditorial de Natural Medicine Journal le journal officiel de American Association of Naturopathic Physicians. Pour en savoir plus, visitez : www.jydionne.com et www.apothicaire.ca.

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